Quotidien "La Croix"
30/03/2010 18:00 en ligne
Edition papier du 31/03/2010
Le chemin de croix de Bias redonne des couleurs à l’église
Dans l’église de cette petite commune de 330 habitants, toute restaurée, le peintre François Peltier vient de réaliser un chemin de croix, qui a déjà rencontré une large adhésion, au-delà du cercle des fidèles
À l’église Notre-Dame de Bias, au cœur du Lot-et-Garonne, un département rural, le blanc a disparu au profit du rouge, du bleu et du vert. Des couleurs qui évoquent, apprend-on, respectivement la charité, la foi, et l’espérance, les valeurs inscrites au bas de l’autel.
Un changement qui illumine les visages des grands… et des petits. « C’est plus chaleureux », s’exclame Baptiste, 11 ans, venu visiter l’église avec sa classe de sixième de l’institution Sainte-Catherine à Villeneuve-sur-Lot. « Les autres églises sont sombres. Là, ça donne envie d’y aller », ajoute Corentin, un autre élève.
« Si ces choix de couleurs ont pu surprendre quelques fidèles, aujourd’hui, même les plus réfractaires apprécient cette “révolution” », assure le maire, Jean-Jacky Larroque, qui a financé les travaux, d’un coût de 15 000€.
Auréolée de ce succès, la paroisse a eu envie d’aller plus loin
L’initiative émane directement des prêtres.
«Nous avons eu cette idée après avoir mis des tentures de couleurs aux murs lors du Carême, l’an dernier », explique P. Laurent Camiade, curé de la paroisse Saint-Joseph de Villeneuve. « Il faut savoir qu’au Moyen Âge, les églises étaient colorées », rappelle P. Arnaud Lassuderie, vicaire de la paroisse. Le pari est réussi.
« Depuis la restauration de l’église, en 2009, nous avons désormais 45 personnes à la messe du samedi soir, soit trois fois plus de fidèles qu’avant, souligne ce prêtre. Nous avons vu revenir des gens qui s’étaient éloignés de l’Église. »
Auréolée de ce succès, la paroisse a donc eu envie d’aller plus loin et a souhaité réaliser un chemin de croix avec un artiste local, François Peltier, formé aux Beaux-arts de Bruxelles, connu pour ses expositions qui ont fait le tour de l’Europe, à l’image de L’Arche.
«J’ai eu une liberté artistique totale»
Aujourd’hui, cette œuvre est la fierté des habitants de Bias. « Je ne m’attendais pas à un accueil aussi favorable dans une commune rurale », reconnaît Augustin Frison-Roche, 22 ans, un apprenti qui a travaillé avec François Peltier et sa femme, Sylvie, également peintre.
Une réussite, symbole d’une étroite entente entre religieux et artistes. « Chacun a su rester à sa place », se réjouit François Peltier. Les prêtres de la paroisse ont simplement veillé au respect de l’orthodoxie religieuse et précisé leurs exigences. « Nous lui avons demandé de mettre l’accent sur les chutes de Jésus, car nous vivons aujourd’hui dans un monde, où les gens ont du mal à se relever », explique le curé, P. Laurent Camiade.
« J’ai eu une liberté totale dans l’interprétation artistique », s’enthousiasme de son côté François Peltier, qui est, par ailleurs, un catholique pratiquant. Ainsi, il a choisi « d’habiller » le Christ en blanc, de le représenter avec son nez, sa bouche de profil, et les yeux de face pour montrer sa double nature, à la fois humaine et divine.
«Ce chemin de croix lisible par tous»
Autres constantes, la foule est dessinée sur un fond noir, les personnages qui aident le Christ, telles la Vierge Marie, sont eux représentés en couleurs. La croix, dorée, dont il n’a gardé que le T, est le fil conducteur de l’œuvre. À chacune des 14 stations, un texte indique les principales étapes : « Jésus cloué à la croix », « Jésus condamné à mort »…
« Ce chemin de croix est populaire, lisible par tous », affirme le P. Laurent Camiade. « Ces bâtiments appartiennent à tous. Les plus pauvres ont le droit d’avoir accès au beau », souligne P. Arnaud Lassuderie. Même les non-croyants, nombreux dans ce département à tradition anticléricale, sont séduits.
«La première fois que je réalise une œuvre fidèle à mes convictions»
« Ce travail est tellement fascinant que nous avons invité nos lecteurs à venir dans l’église », confie Anne Carpentier, cofondatrice de La Feuille, l’hebdomadaire satirique du Lot-et-Garonne, qui, symboliquement, a donné 300€.
« En trente ans de carrière, c’est la première fois que je réalise une œuvre fidèle à mes convictions, c’est-à-dire qui s’inscrit dans la durée, a une fonction et est gratuite », se satisfait François Peltier, 54 ans. Pour y parvenir, chacun aussi a fait des efforts. Ce père de quatre enfants a accepté le prix fixé par la paroisse, soit 21 000€, en dessous de sa cote.
«J’aimerais que notre aventure serve d’exemple»
Une souscription volontaire a été lancée. Preuve de l’engouement populaire, 80% du financement est déjà assuré par 70 généreux donateurs. « Cette œuvre a permis aux paroissiens de se ressouder entre eux », avance Xavier, 39 ans, catholique pratiquant, qui a fait un don important. « C’est galvanisant. Cela rend palpable le fait que des gens aient la foi », s’enthousiasme P. Laurent Camiade.
Après sept mois de travail, ce chemin de croix sera inauguré à Pâques. Un livret pédagogique accompagnera les fidèles. Par ailleurs, un DVD retraçant le travail artistique, accompagné d’une méditation rédigée par l’évêque, Mgr Hubert Herbreteau, sera vendu.
L’artiste et les prêtres sont conscients d’avoir réalisé quelque chose d’exceptionnel. « Nous avons montré qu’il est encore possible de faire de l’art contemporain dans les églises et de travailler main dans la main », souligne P. Laurent Camiade. « J’aimerais que notre aventure, notre entente servent d’exemple», conclut, plein d’espoir, P. Arnaud Lassuderie.
Nicolas CÉSAR, à Bias (Lot-et-Garonne)